Et avant même qu'il n'ait le temps de lui proposer d'aller chercher un verre en ville, son drôle d'oiseau plongea sa main dans sa poche pour en ressortir une vielle montre toute abîmée, lui avisant l'heure. Ni une ni deux elle se redressa d'un petit bond, allant à la dérobée du démon en lui signalant des lèvres que c'était l'heure, et qu'il lui fallait partir. Gun leva sa main comme pour la saluer, mais dut s'interrompre dans son geste en voyant sa têtue comparse s'arracher du sol d'un bond, dans un nuage de plumes et de poussières, déplaçant l'air d'un vaste battement d'ailes. Ses doigts dans sa main se replièrent, comme si il se ravisait, penchant le dos et fouillant dans ses poches à son tour pour y sortir son cellulaire. Hors de question de la laisser filer avant de prendre une photo !

Il leva maladroitement le carré du cadrage, appuya du pouce pour capturer l'image d'un ange qui le saluait en garde-à-vous (ce qu'il s'empressa d'imiter une fois sa photo prise) et elle s'en fut, battant de ses ailes pour se propulser avec grâce dans les airs, gagnant l'altitude.

Gun laissa son bras mollement retomber à côté de lui, fixant, abasourdi, la scène encore grvée dans sa mémoire... Il avait volé! Il porta les doigts de sont autre main à son menton, à sa bouche, à ses lèvres, s'assurant d'être encore bien en vie, de pouvoir encore ressentir son corps malgré l'ivresse qui l'avait saisi. Il avait volé. Il avait escaladé les poutres d'un pont, avait bondi et sautillé et avait joué à pourchasser un ange, et il était tombé... Et il avait volé. Un frisson le secoua, autant par le froid qui le rattrapait que par le retour sur terre, et il porta machinalement ses doigts à son oreille, et aux fibres de la plume blanche qui l'ornait... Il la retira, la porta devant ses yeux, et la fit rouler, en frottant son pouce et son index à sa tige.
Il l'écarta légèrement de lui pour lever à nouveau son cellulaire, remis de sa torpeur, écrivant à l'arraché quelques lettres dans ses notes:

" Aujourd'hui, j'ai volé avec un ange. "
Juste en dessous de
" Aujourd'hui, une sirène m'a mordu ", à quelques jours d'intervalle, et plus haut encore:

" Aujourd'hui, j'ai joué avec deux loup-garous. "

Et il s'en alla, rangeant et cellulaire et plume dans les poches de son coupe-vent, se dirigeant d'un bon pas vers le brouhaha de la vie urbaine et le trottoir piétonnier qui longeait la route du pont.