Le soleil n'était pas encore levé, rosissant tout juste l'horizon, découpant à peine les ombres chinoises des trains et du monstre les guettant. Son visage impassible était dirigé vers un wagon de marchandise, direction la côte est. Deux ombres se coulèrent à ses côtés ; puis ils rampèrent de concert vers leur véhicule. Le lycanthrope eut l'honneur, force brute oblige, de couper la chaîne fermant le wagon à l'aide de lourdes tenailles puis ils se terrèrent entre les marchandises.

Cornell eut aimé voir le jour se lever sur son nouvel espoir mais seule l'obscurité l’accueillit, une obscurité rassurante de tanière. Il glissa sur son derrière devant ses compagnons d'infortune, son sac posé près de lui. Il attendit, les yeux entre-clos sur un fin rai de lumière, un petit sourire aux babines, imaginant l'aube sur Sweetdreams et sa gare, et, bien plus loin, par delà l'océan, sur des forêts mixtes secrètement peuplées de créatures qui étaient ses semblables. Son unique regret, et non des moindres, était de laisser derrière lui ses parents, qui l'avaient rejetés eux aussi, et sa petite sœur, sa petite Princesse Casse-Burnes adorée. Mais déjà il était trop tard pour les regrets ; le train s'ébranlait.
Le jeune ferma les yeux et tenta de se représenter déjà la suite de son périple tandis que le bercement des rails le faisait doucement glisser dans une douce somnolence. D'ici quelques heures, il serait loin de Sweetdreams, de BadStories, de leurs problèmes, et tellement plus proche de sa Roumanie natale. Là-bas, il serait enfin éduqué, entraîné, respecté par son entourage ; il ferait brillamment sa Première Chasse ; il trouverait compagne, il serait père ; il oublierai le passé. Il aurait beaucoup d'enfants et vivrai heureux jusqu'à sa mort. Jusqu'à la fin des temps. Son sourire s'agrandit ; tout irait pour le mieux.
Peut-être s'arrêterait-il avant ? Le monde était à lui à présent ! Partout, partout où ses semblables étaient susceptible de vivre, il pourrait pareillement s'installer.

Un long gémissement strident retentit et le sortit de sa torpeur. Il releva la tête, jeta un regard interrogateur aux deux autres. Un contrôle aux douanes. Tous retinrent leur souffle ? Des pas crissèrent près de leur wagon et s'arrêtèrent, une voix de ténor en appela d'autres, interpellée par la chaîne coupée. La porte du wagon s'ouvrit, les voix se muèrent en aboiement furieux, en invectives franco-anglophones et en corps. Cornell n'offrit aucune résistance, agrippé, plaqué au sol puis menotté avec panique. On le releva pas de suite, de peur qu'il ne tente d'attaquer quelqu'un. Depuis le sol de métal, il roula de grands yeux alarmés, qui s'écarquillèrent encore lorsque les agents voulurent, par précaution, fouiller les sacs des fuyards, sa réaction ne faisant que les encourager.
Tu dois être très joli en drag-queen ricana grassement l'un d'entre eux en sortant les bijoux du sac, ne s'attirant qu'un regard haineux du concerné.

Enfin, on les releva et la raison de leur longue attente se fit claire. Une fourgonnette attendait tout spécialement l'adolescent, avec un homme vêtu de noir et armé d'un fusil assis à l'intérieur. Il entra, s'assit à son tour, la tête tombante entre ses épaules basses. Avant qu'on ne referme le véhicule, il regarda une dernière fois le train qui se préparait à repartir vers d'autres horizons, ses espoirs dedans, mais sans lui.