Le nez en l'air dans le vent, les yeux fermés, Cornell profitait du soleil qui avait lui avait tant manqué avec un sourire stupide. L'air doux caressait son visage et chatouillait agréablement sa truffe. Il sentait le pollen des charmes et des ormes plantés dans la cour, où seuls quelques pensionnaires du foyer restaient assis sur un banc en ce samedi après-midi, discutant à bâton rompus sans qu'il ne puisse comprendre un traître mot de ce qu'ils disaient ; l'odeur des gaz des voitures dont les roues bruissaient sans fin sur l'asphalte des routes citadines formait un fond. Une sirène piaula au loin. Le vent portait même au loup sensible l'odeur de graillon d'un restaurateur rapide dans une ruelle voisine qui venait de vider ses ordures alimentaires, et plus loin mais dominante, entêtante, le sel et la mer entourant la ville. Les plus téméraires prenaient peut-être déjà leurs premiers bains, ou tout du moins profitaient sans l'ombre d'un doute de longues promenades sur le sable clair, entre quelques touffes de graminées, avant l'arrivée massive des premiers touristes estivaux. Le soleil, revenu de ses vacances hivernales, chauffait le bitume du toit, lui tombait tout droit dessus, le pénétrant jusqu'aux os d'une chaleur diffuse et bienfaisante qui lui arracha un soupir de bien être.

La visite de Kaos, au 1er janvier, avait été suivies d'autres, plus ou moins régulières, plus ou moins officielles, plus ou moins bien vues par le personnel de prison qui ne pouvait réfuter leur effet positif sur l'adolescent, qui, sachant que les visites du concierge tenaient en grande partie à son comportement était devenu un prisonnier quasi-modèle, résigné, serrant les dents face aux insultes de certains détenus provocateurs, évitant comme il le pouvait le conflit, ce qui ne l'avait pas empêché de s'énerver à plus d'une reprise contre ses codétenus – se justifiant à grands cris et à renfort de « i' m'a cherché » boudeurs – et pourtant pas lèche-bottes pour un sou. Poli, certes, mais pas lèche-bottes, évitant d'être témoin de la moindre magouille pour ne pas se trouver dans une position difficile, comme celle où il était pour avoir été approché par deux trafiquants de Bluestrike, BadStories et les Phantoms faisant à présent pression sur lui.

remplissage:

Il avait ainsi tiré ses deux mois de prison ferme, avant d'être transféré, au vu de son statut de mineur, au foyer, côté maison de correction, où il avait tout intérêt à prendre ses aises, puisqu'il était bon pour y rester quelques années cette fois, à moins d'obtenir un très incertain sursis. Une promenade de santé en comparaison avec la prison, semblait-il. De vrais lits, des vraies chambres, de petits foyers communs, et un personne éducatif trop débordé – et pas suffisamment financé – pour faire appliquer à la lettre le règlement – le voulaient-ils seulement ? – ce qui permettait aux différents résidents de se côtoyer relativement librement, et de contourner avec une relative facilité le règlement. Par exemple en se trouvant seul sur le toit, bien en vue, le museau au vent. Car il y avait une chose qu'il n'avait pas prévu par rapport à la prison : l’explosion hormonale provoquée par le rassemblement de plusieurs centaines de pubères des deux sexes. Son esprit perturbé était alors bombardé en permanence d'hormones et de phéromones auxquelles son animalité était particulièrement sensible, surtout en début de mois. Il en devenait fou – et il n'était pas le seul, ce qui était peut-être le plus malheureux. Sur le toit, surélevé, balayé par le vent, il était au moins tranquille et retrouvait sa sérénité.

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On était loin du nez gelé par le froid de l'hiver et du micro-climat pendant le festival. Le ciel était libéré de ses gros nuages qui cachaient le soleil, dont les rayons chaleureux avaient transformé les hautes congères de neige en flaques dans le sol, l'herbe humide et mouillée - fraîche, sous le pied ou la patte).

Une bonne bouffée d'air, et son nez fin sentit toutes ces personnes dans le Complexe grouiller, bourgeonner et s'épanouir à l'intérieur, comme s'ils reprenaient vie après une période en stase, pendant la saison morte. Mais c'est lorsque ce mur olfactif le frappa tout en même temps que sa tête se mit à tourner : les odeurs florales passaient encore, d'eau, d'humidité et de moiteur, le début de la saison de barbecues qui picotait l'air, le déséquilibre d'hormones - humaines, bien sûr, mais aussi animales, monstrueuses et les plus abominables fouettaient les narines - bref tout un parfum qui le repoussa à l'extrémité du bâtiment, déjà prêt à clock-in pour la journée.

Sans Arkimèdes dans l'oreille pour le diriger, le mur olfactif l'accula jusqu'à une cage d'escaliers qu'il emprunta sans arrière-pensée, stationnant son chariot ménager contre la première contre-marche avant de cligner et monter le plus vite possible, impatient de se débarrasser de son uniforme pour aller respirer de l'air frais.

Ses griffes cliquetaient contre les marches, l'écho pesant sa solitude, lui faisant tiquer l'oreille et hésiter arrivé au dernier palier, soudain pris d'une hésitation. Mais à quoi il pensait ? Venait-il vraiment d'abandonner ses fonctions pour le plaisir égoïste de s'échapper à ces odeurs ? Qu'est-ce qu'Arkimèdes penserait de lui, sérieux... Quoique la queue basse, recourbée en serpe et le bout fouettant ses pattes, il monta le reste des marches (la hauteur, ainsi que la distance entre le mur et lui le soulageant légèrement), renvoya son poids vers l'arrière et se hissa sur deux pattes, poussant la barre de métal de la porte coupe-feu.

Elle grinça en s'ouvrant, et il plissa les paupières lorsque le contour de lumière de l'ouverture chassa entièrement les ténèbres à l'intérieur, puis en se donnant un élan, étira ses pattes pour l'ouvrir plus grande - et s'extirper le plus rapidement possible dehors. La manœuvre maladroite lui fit râper son collier contre l'arrête de la porte mais qu'à cela ne tienne! Il retomba sur quatre pattes. Il était dehors.

L'intensité de la lumière l'aveugla un peu, mais il put vaguement discerner l'ombre floue d'une autre personne avec lui. L'information prit quelques secondes avant d'atteindre son esprit.

Aussitôt dit la peur le prit au ventre, et il raidit tout ses membres en écarquillant ses yeux, le blanc visible:
« --BWAH ! »

La porte coupe-feu claqua sèchement en s'ouvrant, faisant fuir des moinelets qui étaient venus picorer, échappant parfois un pépiement, mis en confiance par l'immobilité de Cornell, qui jappa de surprise en tressautant, craignant de voir fondre sur lui un pion consciencieux, ce qui arracha un cri de surprise à son ami, qui lui-même trouva son écho dans le glapissement renouvelé du louvard sursautant, surpris par sa surprise. Il s'appuya fermement sur le parapet et fit un signe au groupe en contrebas pour les rassurer – pour un peu que cela les intéresse. Ses bonds successifs n'avaient pas été suffisant pour le faire basculer dans le vide, juste pour lui donner le malaise de l'idée de son apparence s'il avait effectivement basculé dans le vide ; tout ça à cause des deux idiots nerveux qu'ils étaient. Le ridicule de leur réaction en chaîne lui arracha un gloussement, remuant la fourrure de ses épaules, relâchant la tension dans son dos, relevant le regard vers Kaos pour le taquiner, sa caudale ondoyant nonchalamment contre le béton de son siège.
Si on voulait être discrets, c'est raté. A moins que j'ai une gueule à faire peur ?

Bonjour quand même, mec … le salua-t-il avec un sourire

Les yeux ronds et la vision encore floue par la clarté, ses yeux s'habituèrent et lui découpèrent la silhouette du lycanthrope sur le parapet, avant de décrire la lumière sur ses touffes de fourrure, définissant les détails de son fasciés. Cette analyse permit au concierge de se ressaisir, rassemblant ses pattes en remontant le dos, reconnaissant aussitôt la voix de son semblable :

— « Si on voulait être discrets, c'est raté.
— Cornell !
Kaos retourna sa veste [figurative] et caracola sur place, se rangeant sans hésitation vers l'étudiant, répondant à sa salutation par de la proximité plutôt qu'un sourire distant, son instinct canin prenant le dessus.

Les verts lui semblaient plus vifs, et le ciel plus bleu, dans ce tableau qui lui permettait de voir Cornell pour la toute première fois de face - et ce sans vitrine ou barreaux pour lui bloquer le chemin. Il se contrôla de bondir ou de monter sur ses pattes postérieures, venant contourner l'adolescent en trottinant autour, son arrière-train s'agitant en même temps que ses petits bonds l'empêchant de conserver son équilibre, le menant à se cogner maladroitement contre les jambes de son ami.

— « À moins que j'ai une gueule à faire peur ?
Bonjour quand même, mec …

— Ha ha ! Tu veux rire mec ! lui renvoya le loup, terminant son cercle. Il s'éloigna d'un autre bond, réprima un aboiement excité et baissa sa croupe, sa queue frétillant follement, droite vers le sol. Ça fait déjà un mois ? »

" Un mois au pénitencier, pour cambriolage à domicile et tentative de fuite avec deux contrefaçons non-certifiées. " Il avait eu de la chance à cause de son jeune-âge, et les jours de réclusion cellulaire lui semblaient déjà loin derrière. Kaos toutefois n'était pas dupe : si la réclusion n'était plus physique, ceci ne signifiait pas que la société accueillait Cornell à bras ouverts. Il se doutait que la bombe olfactive à l'intérieur n'était pas l'unique responsable de son isolement sur le toit ...

Cornell !
Son sourire s'élargit encore à l'enthousiasme de son ami, sa caudale s'agita un peu plus, ce qui ne l'empêcha pas de le taquiner pour sa frayeur.
À moins que j'ai une gueule à faire peur ? avant de se radoucir, le saluant dans les règles.
Ha ha ! Tu veux rire mec !
Il gloussa de bon cœur, se retenant de sauter à son tour sur ses pattes, et autour de lui. Tout portait à la gaieté : leurs retrouvailles, le ciel bleu, le soleil, la brise légère.

Ça fait déjà un mois ?

Il fronça les sourcils, interloqué. Il avait fait ses trois mois de prison ferme qui devaient être suivi de trois ans en foyer éducatif fermé – ou une autre terminologie administrative merdique qui signifiait simplement qu'il restait en maison de correction, surveillé, avec des barreaux coupant le ciel à ses fenêtres, dormant cependant dans de meilleurs draps. Comme c'était inscrit dans son jugement. Comme Kaos le savait, lui qui était depuis trois mois son confident ! Un rictus espiègle passa sur le visage du jeune. Une réplique lui était venue avant même qu'il n'ouvre la bouche pour reprocher cet oubli à son ami, profitant de leur isolement pour que leurs paroles n'aient d'autres interprètes ni auditeurs qu'eux.

Aww, tu vois pas le temps passer avec moi ~ Sérieux, mec ! Trois mois d'jà ! J'suis de retour avec le soleil … ronronna-t-il en offrant sa joue à la caresse chaude de l’œil d'or du dieu blanc.
Tu t'occupes de l'école maintenant ? demanda-t-il, curieux, en ouvrant une paupière paresseuse vers lui.