Back in town

feat. Gun et le Miroir

Deux semaines après "Échouée"

Les jours avaient rallongé depuis l'arrivée du Printemps, et petit à petit, semaine après semaine, le soleil augmentait la durée de sa course effrénée dans le ciel.
La soirée était déjà bien avancée lorsque Crystal s'engagea dans la rue qui menait au Miroir d'Aphrodite. Pourtant, entre chien et loup, il ne faisait ni jour, ni nuit, bien que les nuages gris qui obstruaient le ciel pourpre donnaient l'impression que l'astre du jour s'était complètement couché.

La jeune sirène jeta un coup d’œil inquiet au fond de son sac, vérifiant que le parapluie emprunté à (Arelan?) et la fiole de BlueStrike – dont elle peinait encore à croire que ce n'était pas réellement un médicament visant à la guérir d'une quelconque malformation – étaient bien là. Un accident était si vite arrivé, et elle s'était préparée de sorte à parer n'importe quelle éventualité.

Elle avait maigrement puisé dans ses économies – quoique en grande partie fournies par Elvio, à l'époque - pour refaire sa garde robe, partie en cendre en même temps que la maison qu'elle partageait avec le renard, et acheter les quelques éléments qui lui paraissaient indispensables pour bâtir une nouvelle vie.
Arelan avait généreusement proposé de l'accueillir chez lui, en échange d'un modeste loyer, et c'était bien plus que ce qu'elle n'attendait.

Ainsi, elle était là, face à l'enseigne du Miroir d'Aphrodite, plus lumineux et luisant que jamais, frissonnante dans sa nouvelle robe de soirée nacre. Cette dernière, moulante et courte, épousait parfaitement ses formes, et la dentelle qui tombait jusqu'au creux de ses reins laissait juste entrevoir son dos nu.
Elle avait rehaussé ses cils d'un peu de mascara. Sous ces derniers, on pouvait à peine discerner le maquillage nude qui recouvrait ses paupières et qui avait admirablement bien servi à camoufler les vestiges des crises de larmes de ces derniers jours. Pour couronner le tout, ses lèvres avaient été préalablement recouvertes d'un rouge à lèvre bordeaux, acheté à trois francs six sous pour l'occasion, enjolivant son teint d'ivoire.
Il fallait avouer qu'elle n'avait pas particulièrement la tête à se faire belle, en ce moment, mais elle avait tenu à se rendre présentable pour retourner au Miroir d'Aphrodite. Hors de question de traverser les lieux en guenilles.

Finalement, après un long soupir et avoir jeté un dernier coup d’œil anxieux au ciel qui noircissait, la jeune sirène se décida à pousser la porte des lieux, pénétrant à l'intérieur.
Presque sans hésiter, ses pas la conduisirent tout droit vers les escaliers qui menaient au sous sol. Elle inspira une grande goulée d'air, comme pour se donner du courage avant de les descendre, les cliquetis de ses escarpins sur les marches de marbres étouffés par la musique qui battait son plein.
Aussitôt en bas, elle fut assaillie par la bouffée d'air chaud qui l'enveloppa. Autrefois si familière, elle tiraillait à présent Crystal entre deux émotions : le réconfort et le regret.

L'adolescente cligna des yeux, autant pour laisser ses pupilles s'habituer à l'obscurité de la pièce que pour chasser le surplus d'eau qui se formait sous ses paupières. Elle s'arrêta là, un instant, le temps de reprendre ses esprits puis s'avança d'un pas déterminé vers le comptoir, ignorant les visages étonnés qui se retournaient sur son passage. Bien que son visage se soit affiné, devenant peu à peu celui d'une femme, sa crinière mauve et turquoise ne trompait personne. Un peu rassurée de reconnaître un visage derrière le bar, elle se lança :

« G-Gilles ? » Appela-t-elle timidement. « Bonsoir. »

Elle tenta un sourire, bien que l'envie de fondre en larmes était clairement marqué sur son visage. Si le Miroir d'Aphrodite refusait son retour, ce serait le coup de massue.

Back in town

feat. Gun et le Miroir

« C… Crystal ! »

L'exclamation arracha un sourire à l'interpellée. Elle voulu sincèrement faire le tour du bar pour courir l'enlacer mais son éthique la rattrapa, et quelque chose lui dit qu'après ces mois d'absence, elle ne pouvait peut-être pas se permettre ce genre de proximité.

L'expression ébahie de Gilles n'arrangeait pas la chose, la forçant à se replonger dans la situation qui l'avait poussé à partir. Dans son esprit se bousculaient un trop plein d'émotions, ses sentiments oscillant entre la joie de retrouver sa deuxième famille (ou son unique famille, finalement) mais aussi la culpabilité et les remords d'avoir disparue si longtemps, d'avoir laissé de côté tout ce qui comptait autrefois pour elle.

« Seigneur, Crystal, qu'est-ce que tu fais ? Viens, viens, mon dieu, assis-toi, chte sers que'que chose ? » Reprit le serveur, l'invitant à s'asseoir en face du bar.

La jeune sirène prit place sur l'une des chaises hautes du comptoir, fuyant le regard de Gilles mais se cachant toujours derrière son sourire de façade. Elle s'apprêta à décliner son invitation à boire quelque chose, mais une nouvelle acclamation la coupa :

« Crystal ! I can't believe it ! »

« S-Sinbad !! » S'exclama l'interpellée en découvrant le serveur qui accourait vers elle.

Son sourire s'agrandit alors que ses sourcils venaient se rejoindre en pont au dessus de ses yeux embués, accentuant l'expression de tristesse qui peignait son visage.
Pour ne rien arranger à la chose, Gun vint se rajouter au tableau, s'avançant vers elle, tout sourire, pour lui tendre un verre qu'elle accepta volontiers. Elle l'avait reconnu, sans pour autant se rendre compte que ce n'était guère réciproque, et le salua d'un signe timide de la main.

La jeune fille les regarda tous trois, alors que Sinbad arrivait à sa hauteur. Elle du se retenir de toutes ses forces pour ne pas se mettre à pleurer comme une enfant. Mais les larmes devenaient de plus en plus dures à retenir et bientôt, sa vue se brouilla tant la quantité d'eau dans ses yeux était importante.

« O-Oh mes amis… comme vous m'avez manqué... » Articula-t-elle péniblement.

Sa voix tremblotait, sans doute était-ce du à la douloureuse boule qui se formait dans sa gorge. Et peut après avoir prononcé sa phrase, elle fut impuissante face à la larme qui échappa à sa vigilance et qui roula sur sa joue pour venir s'écraser contre le comptoir.
D'un revers de la main, la jeune fille vint essuyer la traînée humide qu'elle avait laissé sur son sillage, et, après un reniflement, elle murmura, sanglotante :

« … je m'étais dit que je ne pleurerais pas... »